Derrière les œuvres si novatrices de Hilma af Klint, particulièrement attrayantes du point de vue esthétique, on découvre une démarche visant une compréhension renouvelée de l’esthétique et la tentative systématique d’investiguer les mondes de l’esprit.

Hilma af Klint, une pionnière de l’abstraction : le Musée d’Art moderne de Stockholm lui a consacré en 2013 une vaste rétrospective. Cette exposition, la plus visitée dans l’histoire du musée, a fait d’elle une artiste de réputation internationale. Le 12 octobre 2018, le Musée Guggenheim de New York a inauguré l’exposition Hilma af Klint, des peintures pour le futur. Lors de sa clôture, le 23 avril de cette année, on réalisa à New York, comme à Stockholm auparavant, que cette exposition fut la plus fréquentée de toute l’histoire du musée. Cet événement représente sans aucun doute un point culminant dans la présentation de ses œuvres, une histoire qui remonte à une trentaine d’années. Le bâtiment circulaire en forme de spirale conçu par Frank Lloyd Wright constitue une enveloppe architecturale parfaite pour l’œuvre de Hilma af Klint.1 Nous savons que l’artiste rêvait d’un temple pour la présentation de ses travaux , un souhait conforme aux idées de Hilla von Rebay, directrice fondatrice de la Solomon R. Guggenheim Foundation et familière de la théosophie et des conceptions de Rudolf Steiner : elle imaginait pour le futur musée un « temple de l’esprit » dans lequel serait exposé l’art non figuratif, qu’elle nommait la « religion de l’avenir ». Il est possible, on l’imagine en tout cas, qu’elle ait été à l’origine de la célèbre forme en spirale du bâtiment, motif d’ailleurs récurent dans l’œuvre de Hilma af Klint.

Hilma af Klint, Carnet de notes : fleurs, mousses, lichens, 1919, Albert-Steffen-Stiftung.

Repenser l’histoire de l’art ?

Quelles sont les raisons d’un si vif intérêt ? Son histoire fournit certainement matière à un récit sensationnel, celui de la découverte d’une œuvre « secrète » élaborée il y a 70 ans, riche en travaux qui exigent de l’histoire de l’art de repenser son récit en apparence bien établi. C’est l’option choisie par le Musée d’Art moderne de Stockohlm en faisant de Hilma af Klint la pionnière de l’art abstrait. Et c’est effectivement ce point de vue qui a nourri depuis les discussions et les débats. 

Af Klint ne se considérait pourtant pas comme une pionnière de l’abstraction et il n’y eut entre elle et des personnalités connues comme Mondrian ou Kandinsky ni contacts ni échanges. Elle fut pourtant utilisée comme une très bonne accroche, une parfaite image de marque. Rien d’étonnant à ce que l’Acne Studio, label internationalement reconnu dans le domaine de la mode, ait édité à l’été 2014 sa collection Hilma af Klint. Mais peut-être faut-il y voir aussi d’autres raisons, plus en rapport avec le rapprochement de la mode et de l’art contemporain au cours des dernières années. En tout cas, c’est bien à l’idée de « pionnière de l’abstraction » que s’est référé Jonny Johansson, le créateur de la collection. Dans la déclaration de presse publiée sur la page d’accueil du site d’Acne Studio, on apprend ce qui l’a motivé : « The colours and the depth and beauty of Hilma af Klint’s universe will strike anyone who spends time with her art. Her story as a forgotten artist, who is suddenly being considered as one of the pioneers within abstract art, is dazzling. » On peut mettre en avant d’autres raisons, plus importantes, pour expliquer l’intérêt durable qu’elle suscite. Qu’il s’agisse de botanique ou d’illustrations scientifiques de végétaux, de l’utilisation de diagrammes, d’histoire de l’art dans une perspective féministe, d’occultisme avec des liens vers la théosophie et l’anthroposophie, d’écriture automatique 30 ans avant les surréalistes, de décoration ou de recours à l’écriture dans la peinture, son œuvre offre en effet de multiples accès.

Hilma af Klint, série Parsifal, n° 78, 1916, Hilma af Klint Foundation.

Discipline spirituelle     

Quoi qu’il en soit, les talents de peintre de Hilma af Klint ne font aucun doute. C’est finalement ce qui explique la success-story des dernières années. Facilement relégable dans une niche, son œuvre ne cessa de surprendre par ses qualités esthétiques et bénéficia, de ce fait, d’une bonne réception. Les futures recherches montreront son positionnement vis-à-vis des courants modernistes de son temps. Il semble qu’elle ne s’en soit que peu ou pas du tout préoccupée, mais qu’elle ait orienté toute son énergie sur le travail intérieur et la transmission des messages des mondes supérieurs. Cet aspect de son travail a été traité jusqu’ici de façon plutôt superficielle, schématique et redondante. On n’a pas encore assez mis en valeur les contenus de ses travaux et la précision de leur réalisation. Cela ne saurait surprendre, tant l’iconographie et la symbolique présentes dans ses œuvres sont en grande partie inconnues des historiens de l’art. L’impression artistique qui se dégage de ses travaux agit apparemment plus fortement que le besoin de comprendre exactement le sens de la lettre « W » ou ce que racontent certaines formes florales ou géométriques. Ses images sont convaincantes par elles-mêmes, à travers les formes, les couleurs ou le mode d’exécution choisi.

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