Dans une chronique publiée en mai sur le site internet de L’Express, Laurent Alexandre a violemment attaqué les pratiques agricoles cherchant à se passer de pesticides et autres produits phytosanitaires de synthèse. En technophile convaincu, il accuse Didier Guillaume, le ministre français de l’Agriculture, de préconiser « une hécatombe mondiale » en soutenant « les pratiques agricoles ancestrales » de nos grands-parents, ainsi que la biodynamie.

Pour ce faire, cependant, le pape francophone du transhumanisme, grand promoteur du rationalisme scientifique, utilise une série de contre-vérités grossières, qui remettent en cause le sérieux de sa démarche et la pertinence de ses réflexions. Dans sa chronique, il commence par rappeler, à juste titre, que la biodynamie est issue de l’anthroposophie de Rudolf Steiner. Mais il commet une première erreur lorsqu’il affirme que l’anthroposophie est « considérée comme sectaire ».

C’est sans doute son avis, mais ce n’est en aucun cas, comme il le laisse entendre, une acceptation officielle. En France aujourd’hui, il n’existe en effet aucune liste des mouvements sectaires. Comme l’a rappelé Libération en octobre 2018, « on ne peut donc pas affirmer que l’anthroposophie soit une secte ». Dans le domaine de la santé, la Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) avait bien mentionné la « médecine anthroposophique » dans son guide « Santé et dérives sectaires », en 2012. Mais en avril 2018, le tribunal administratif de Paris a condamné cet avis.

La suite est du même acabit. Laurent Alexandre accuse la biodynamie d’incarner une « vision magique » de la terre et du cosmos, aux conséquences désastreuses au niveau mondial. En raison de « rendements inférieurs de moitié à ceux de l’agriculture classique », soutient-il, « la généralisation du bio et des techniques de nos ancêtres enchanterait les bobos verts, mais ferait des centaines de millions de morts à l’échelle de la planète. » En écrivant cela, le président de DNAVision ne fait, au mieux, que souligner son ignorance à ce sujet. Quelques exemples suffiront à le montrer.

En Lituanie, entre 2012 et 2014, des études menées sur des potirons et des pommes de terre cultivés en biodynamie ont révélé une nette amélioration de l’activité biologique des sols. En outre, l’utilisation des deux préparations biodynamiques à base de bouse et de silice de corne de vache (moquées par Laurent Alexandre) ont conduit à une augmentation significative de la qualité nutritive des aliments concernés. On est loin, ici, d’une pensée magique !

En Suisse, depuis 40 ans, un essai scientifique unique au monde, réalisé dans les champs, compare l’agriculture biodynamique, biologique et conventionnelle. L’expérience est conduite conjointement par l’Institut de recherche pour l’agriculture biologique (FiBL) et l’Institut fédéral de recherche agronomique Agroscope. Les résultats obtenus à ce jour montrent que l’agriculture conventionnelle marque certes des points du côté des rendements, mais dans une mesure bien moindre que celle avancée par Laurent Alexandre. Les variantes biologiques, avec une consommation d’engrais et d’énergie moindre de 50%, atteignent 80% des rendements conventionnels. Un faible écart confirmé aussi par une méta-étude américaine datant de 2014. De plus, au cours des 14 dernières années, les rendements du blé biodynamique ont dépassé d’une tonne par hectare – soit 20 % – ceux du blé biologique.

Mais au fond, le problème est plus systémique. L’argument du rendement, utilisé comme un épouvantail, est facile à brandir pour effrayer les populations. Mais il devrait être manié avec précaution. Pour être honnête, il faudrait aussi préciser qu’une énorme quantité de ressources alimentaires (entre 30 et 50 % de la production mondiale annuelle, selon certains rapports) sont gaspillées chaque année dans le monde. Une réduction de ce gaspillage permettrait d’absorber les rendements légèrement plus faibles de l’agriculture biologique ou biodynamique.

L’autre pierre d’achoppement est celle du modèle agricole à promouvoir pour parvenir aux rendements souhaités tout en préservant la planète. Dans un rapport publié en 2014, l’ONG Grain souligne qu’au niveau mondial, ce ne sont pas les grandes exploitations qui nourrissent le monde, mais les petites fermes traditionnelles, qui sont largement majoritaires et aussi plus productives à l’hectare :

« Les agences de développement internationales nous mettent sans cesse en garde sur le fait qu’il nous faudra doubler notre production alimentaire dans les prochaines décennies. Pour y parvenir, elles préconisent habituellement une combinaison de libéralisation des investissements et du commerce, et de nouvelles technologies. Mais ce mélange ne fera que créer davantage d’inégalités. La vraie solution consiste à rendre le contrôle et les ressources aux petits producteurs eux-mêmes et à adopter des politiques agricoles adaptées pour les soutenir ». Autant d’éléments qu’oublie de mentionner Laurent Alexandre, sans doute trop absorbé par ses rêves technophiles pour penser adéquatement le réel.