Le « 1789 des archanges », c’est l’expression entendue par Victor Hugo en exil à Jersey lors d’une séance de spiritisme, le 22 mars 18551. Cette expression résume en un mot, la conjonction des valeurs de la Révolution française avec les hiérarchies spirituelles, signe d’une nouvelle religion laïque, qui va être imaginée et élaborée dans la seconde moitié du 19e siècle dans la continuité de ce qu’on appelle le socialisme de la Monarchie de Juillet. Cette religion laïque prend appui sur la réalisation d’une synthèse reliant les fils séparés de l’histoire, des êtres et des connaissances2.

Si l’Encyclopédie des Lumières a eu elle-même cette ambition, la démarche synthétique au 19e siècle va connaître des remaniements et des expérimentations diverses, en particulier avec l’émergence d’une culture ésotérique, dont le projet de synthèse des connaissances et des religions est venu se conjoindre à un projet de synthèse social – le communisme – et son idéal, une fraternité universelle.

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L’enjeu s’énonce d’abord dans l’identification d’un chaînage assurant la liaison et la consistance du tissu de l’être et des connaissances. Ainsi d’Alembert : « Pour peu qu’on ait réfléchi à la liaison que les découvertes ont entre elles, il est facile de s’apercevoir que les sciences et les arts se prêtent mutuellement des secours, et qu’il y a par conséquent une chaîne qui les unit »3. Et à cette chaîne des sciences et des arts s’ajoute cette autre chaîne – la chaîne des êtres : « tout est lié dans la nature ; tous les êtres se tiennent par une chaîne dont nous apercevons quelques parties continues, quoique dans un plus grand nombre d’endroits la continuité nous échappe. »

L’ésotérisme travaillera à l’identification de ces chaînes de l’être pour formuler une synthèse supérieure, censée surmonter l’émiettement des disciplines, des religions et des sociétés. Le 19e siècle verra plusieurs entreprises de synthèse dont celle de Pierre Leroux, auteur avec Jean Reynaud de l’Encyclopédie nouvelle (1834-1841) qui cherchent à combiner dans ce qu’on pourrait nommer une forme naissante de socialisme ésotérique, un projet encyclopédique, un projet de société et un projet de religion laïque. D’autres conjoindront à la synthèse des connaissances une synthèse sociale figurée dans l’association universelle, ce socialisme fouriériste qu’on appelle parfois le socialisme de la Monarchie de Juillet4.

Ainsi, l’occultisme d’Éliphas Levi pourra être vu comme un résultat direct de ses idées socialistes5. Inversement, Gérard Encausse, connu sous le nom de Papus, pourra relever dans sa Bibliographie méthodique de science occulte (1892), dans la rubrique « Socialisme », que les « études sociales peuvent bénéficier largement aux sciences occultes »6. Le terme de synarchie créé par Saint-Yves d’Alveydre cristallisera cette idée d’une « synthèse » de tout le savoir humain sur la base d’une synthèse sociale : l’archéomètre en formerait le plan. Il se présenterait comme « la clef de toutes les religions, de toutes les sciences de l’Antiquité et comme la réforme synthétique de tous les arts contemporains7».

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