Une jeune femme s’adresse à un psychologue pour lui demander conseil sur ses problèmes de vie. Elle s’est bien préparée pour l’entretien et a bien réfléchi à ce qu’elle veut dire et à la manière dont elle veut le dire. Elle peut ainsi parler avec aisance et elle est heureuse que le psychologue l’écoute sans l’interrompre. Enfin quelqu’un qui vous laisse terminer ! Elle remarque alors que son interlocuteur non seulement écoute attentivement ce qu’elle dit, mais qu’il l’écoute elle, la personne qui parle. La jeune femme sent qu’elle est perçue. Et maintenant elle met son concept de côté et commence à s’exprimer, non pas ce que son intellect dit, mais ce que son cœur dit. Sans préparation et sans recul par rapport aux paroles. Ses propos deviennent denses et essentiels. Elle raconte ce qu’elle savait en réalité déjà – mais qu’elle ne savait pas qu’elle savait. Une fois qu’elle a terminé et que le psychologue réfléchit à la manière d’entamer la conversation, elle déclare spontanément : « Merci pour la conversation, je me sens mieux », elle retire son manteau du porte-manteau et dit au revoir avec une poignée de main chaleureuse.

Que s’est-il passé ? La femme a d’abord dit ce qui la préoccupait chez elle, ce qu’elle avait bien réfléchi. Cela appartient à son passé et non à la réalité présente dans laquelle elle est assise en face d’une autre personne. La séance de conseil prend un tournant décisif lorsque la femme remarque que le psychologue non seulement perçoit ses paroles et les prend au sérieux, mais qu’il les laisse se stabiliser en lui-même, dirigeant ainsi l’attention sur la personne qui parle. Il ne s’agit pas seulement des problèmes de la vie, ni de quelque chose en particulier, mais de quelqu’un.

Au moment où nous devenons immédiats les uns avec les autres, au moment où les pensées d’hier ne se mettent plus en travers, alors commence le silence entre nous. Il germe, il se déploie, il forme un nouveau monde qui nous accueille. Lorsqu’on se tait, ce n’est pas encore le silence. Cette réalité est plus élevée et plus forte que celle que l’une ou l’autre personne pourrait créer. Elle présuppose la bonne volonté de toutes les parties concernées, puis elle s’abaisse d’un ordre supérieur jusqu’à la relation entre les personnes. Le silence est une grâce, comme la paix.

Martin Buber a décrit le monde de la vie quotidienne, des objets et des personnes interchangeables comme une relation Je-Cela, tandis qu’il décrit le monde dans lequel je rencontre l’autre personne en tant qu’être humain, comme la relation Je-Tu. Dans ce cadre, nous sommes dépendants les uns des autres. « L’être humain devient un Je dans le Tu »1 : un Je qui ne se laisse pas prendre dans le tourbillon des affaires quotidiennes, mais qui vit de silence.

Dans le Japon ancien, il était de coutume d’inviter une personne dont on voulait juste faire la connaissance dans un restaurant, mais d’inviter une personne que l’on voulait vraiment connaître dans sa propre maison, peut-être pour le thé. Non pas pour bavarder, mais pour se taire. Tout le monde peut parler par convention, mais on n’apprend pas vraiment à connaître l’autre personne. Seul celui qui a quelque chose à dire peut se taire. Et celui qui peut se taire se tait à sa manière à lui. Par le silence, il devient Tu. Dans le silence, même s’il est accompagné de mots, je suis seul avec l’autre, le cercle entre vous et moi se referme, rien ne vient s’interposer entre nous.

Le silence n’est audible que pour ceux qui peuvent écouter. L’écoute, ce n’est pas cette attention sélective qui est si fortement développée chez l’homme d’aujourd’hui. Ce n’est pas non plus l’attention périphérique dont nous pouvons témoigner en nous promenant dans un paysage. Ce n’est pas l’ouverture globale du petit enfant. L’écoute, c’est ce pouvoir de plonger dans les profondeurs de l’autre. En écoutant les autres, nous oublions ce que nous savons. Nous sommes tout ouïe. En écoutant, le monde devient essentiel, et nous aussi. C’est pourquoi certaines personnes âgées et mourantes peuvent si bien écouter.

Mathias Wais a décrit, à partir de l’expérience de la consultation biographique, comment un nouvel organe auditif se forme par l’écoute des autres. Il n’est pas situé dans la tête, mais dans le dos, entre les omoplates. « Écouter vers l’arrière » ne consiste pas à enregistrer ce qui est dit, mais à « capter quelque chose de l’essence de l’autre personne » et à rendre la conversation pacifique. « Et quand on parle ensuite (en tant que psychologue), le patient se parle à lui-même. »2

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