Il y a 140 ans, Darwin a placé le cerveau de la plante à l’extrémité de la racine en pleine croissance : « Il n’est guère exagéré de dire que l’extrémité de la racine germinative, dotée de sensibilité et capable de guider les mouvements des parties adjacentes, agit comme le cerveau d’un des animaux inférieurs ; le cerveau se trouve à l’extrémité antérieure du corps, il absorbe les impressions des organes des sens et dirige les différents mouvements ». Rejetée par les scientifiques de l’époque, cette idée connaît une renaissance. Certains scientifiques s’habituent actuellement à l’idée de « sens », de « comportement » et de « mémoire » chez les plantes ; d’autres chercheurs bafouent les notions d’« apprentissage », de « compréhension » et d’« intelligence » appliquées aux végétaux et les qualifie au mieux d’« inappropriés », au pire de surinterprétation flagrante des données, de téléologie, d’anthropomorphisme ou de spéculation sauvage. L’utilisation de l’approche steinerienne des sens, selon laquelle un sens humain amène l’homme à « reconnaître l’existence d’un objet, d’un être ou d’un processus de telle sorte qu’il est en droit de transférer cette existence dans le monde physique » (GA 45), permet d’interroger de façon inédite le parallélisme de l’activité sensorielle de l’être humain et de l’animal – voire des végétaux.

Au cœur de l’expérience

Écologiste spécialisée dans le monde animal, Monica Gagliano a choqué le monde de la botanique avec des expériences sur la sensitive (Mimosa pudica), plante dont les feuilles ressemblant à des fougères se replient immédiatement quand elles sont touchées. Avec son équipe, elle a fait tomber des plants de sensitive soixante fois de suite à quelques 15 centimètres de hauteur sur une surface rembourrée et découvert que certains mimosas ferment à peine leurs feuilles après seulement quatre, cinq ou six manipulations, comme s’ils avaient décidé que le stimulus pouvait être ignoré sans risque. Au final, les feuilles restaient toutes déployées (étude publiée en 2014). Dans une expérience avec des plants de pois communs (Pisum sativum), Gagliano et son équipe ont montré comment les racines des plantes poussaient en direction d’un son produit par de l’eau mais évitaient les sons artificiels. D’autres expériences comportementales sur les réponses aux stimuli des sens et de l’apprentissage ont été réalisées : il a été démontré que les extrémités des racines des plantes perçoivent non seulement la gravité, les marées, la clarté de la lune, l’humidité, la lumière, la pression et la dureté, mais aussi le volume, l’azote, le phosphore, le sel, les substances toxiques, les microbes et les signaux chimiques émis par des plantes voisines. Les racines peuvent reconnaître si les racines voisines sont les leurs, leur sont apparentées ou étrangères. Bien que les plantes soient généralement en compétition pour l’espace racinaire, quatre plantes marines étroitement apparentées (Cakile edentula) se développant dans le même pot ont limité leur comportement concurrentiel habituel et partagé leurs ressources. Les végétaux recueillent et intègrent donc des informations environnementales, et « décident » ensuite avec précision (certains scientifiques utilisent des guillemets pour suggérer une métaphore à l’œuvre tandis que d’autres les laissent tomber) où placer leurs racines ou leurs feuilles.

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