Chaque été, Avery Ping passait ses vacances chez ses grands-parents dans l’arrière-pays idyllique de New York, où il partageait son temps entre une ferme biodynamique et une école Waldorf. À l’automne 2024, il a quitté son école du nord-ouest du Pacifique pour faire un semestre dans cette région, à la Hawthorne Valley Waldorf School, où il s’est rapidement fait des amis. Il avait décidé d’y revenir en janvier pour sa dixième classe et se réjouissait de participer en février à une excursion en traîneau à chiens avec d’autres élèves de l’école. Il souhaitait y terminer ses études secondaires et passer l’équivalent américain du bac en 2027.
De retour dans sa ville natale en décembre, Avery s'est laissé tenter par la MDMA, une substance également connue sous le nom d’ecstasy et actuellement vantée sur Internet comme remède contre la dépression. Il l’a commandée via la plateforme de réseau social Snapchat. Ce qu’il ne savait pas, c’est qu’elle était mélangée à de la méthamphétamine et du fentanyl, un opioïde mortel qui tue chaque année des milliers d’adolescents aux États-Unis.
Cette nuit-là, sur la côte Est, le grand-père d’Avery, Martin Ping, s’est réveillé en sursaut, tiré de son sommeil par une sensation étrange, une agitation inexplicable qui le bouleversait profondément. Alors qu’il venait de saisir son téléphone, celui-ci a sonné. C’était son fils Aaron Ping qui lui annonçait que son petit-fils de seize ans venait de mourir d’une overdose.
Tous les problèmes auxquels nous sommes confrontés font partie de la réalité de notre époque, et nous devons les accepter et les examiner comme tels. Il existe des substances nocives et addictives, et les jeunes y ont recours. La dépression, l’anxiété et la solitude sont très répandues. La technologie, le capitalisme et le matérialisme façonnent la manière d’agir, que ce soit envers nous-mêmes, envers nos communautés ou envers la nature.

Selon Martin Ping, « le capitalisme de surveillance et le consumérisme sans fin ont provoqué une crise spirituelle qui entraîne distraction, aliénation, dépression, toxicomanie et suicide. Le vol, à grande échelle, de l’attention par des appareils délibérément addictifs et des plateformes médiatiques antisociales a rendu nos enfants particulièrement vulnérables à ces forces, les exposant à l’exploitation et à l’empoisonnement à des fins lucratives. »
Aaron, le père d’Avery, explique les circonstances tragiques qui ont conduit à la mort de son fils : « Le modèle commercial est d’une simplicité effrayante : les trafiquants peuvent multiplier leurs profits par dix ou vingt en coupant des substances courantes chez les adolescents avec du fentanyl et d’autres substances synthétiques. Les réseaux sociaux offrent à ces drogues expérimentales un accès direct à nos enfants, tandis que des fonctionnalités telles que les messages éphémères de Snapchat et Telegram garantissent que les preuves disparaissent avant que les forces de l’ordre puissent intervenir. »
Avec un regard extérieur, on peut se demander s’il n’y avait pas quelque chose d’autre derrière l’histoire d'Avery. Avait-il des problèmes ? Était-il toxicomane ? Avait-il subi un traumatisme dans l’enfance ? On peut aussi se sentir impuissant face à une telle tragédie et préférer se détourner. Mais les jugements moraux empêchent le dialogue et la compréhension, et nier la souffrance ferme notre cœur et nous prive de notre capacité à changer les choses.
Le père et le grand-père d’Avery travaillent avec d’autres familles pour sensibiliser le public et modifier la législation régissant les responsabilités sur les réseaux sociaux. De plus, chaque matin, Martin Ping travaille son lien avec Avery, regarde sa photo et ressent le réconfort de sa présence. Il est certain qu’Avery peut travailler depuis l’autre côté du seuil et aider d’autres jeunes à trouver leur place dans le monde d’aujourd'hui.
Même si nous sommes loin, nous pouvons apporter notre contribution. Dans mon bureau, juste derrière la caisse contenant les boîtes de naloxone, se trouve un tableau d’affichage destiné aux communications de l’école. On y trouve une photo d’Avery et un avertissement sur le fentanyl et Snapchat. Les élèves des grandes classes s’arrêtent pour regarder son sourire et ses yeux expressifs. Quand ils me posent des questions sur ce beau garçon, je leur raconte son histoire et le remercie pour son sacrifice.
Nous pouvons essayer de lutter contre ces problèmes avec des moyens matériels et des solutions concrètes, mais leurs causes ne sont pas seulement matérielles : elles sont aussi spirituelles. Nos réponses doivent donc prendre en compte tous les niveaux de l’existence. Que pouvons-nous faire ? Tout d’abord, accepter le monde dans lequel nous vivons. Ensuite, agir avec un cœur ouvert (même s’il est parfois brisé). Enfin, si nous sommes engagés sur un chemin spirituel, élargir notre façon de penser, de ressentir et de vouloir afin de nous confronter à des questions difficiles. Il n’y a pas de réponses simples à des problèmes complexes, mais nous pouvons commencer par jeter un pont entre le spirituel et le matériel par la contemplation, l’amour et les actes.
Adaptation française
Béatrice Petit & ÆTHER X
Source

Pour en savoir plus
- Institut national sur l'abus de drogues. Décès par overdose : faits et chiffres.
- Paul Solotaroff, « Inside Snapchat’s Teen Opioid Crisis », Rolling Stone, 16 juin 2024.
- Nicki Reisberg, « Snapchat’s Deadly Failure » (avec Aaron Ping), Scrolling2Death (podcast destiné aux parents inquiets à propos des réseaux sociaux).
- Matthew O’Neill et Perri Peltz, Can’t Look Away, Jolt. Film – Discover the Most Important Independent Films.
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