Définir l'anthroposophie n'est pas facile. Dans ce domaine de recherche, Ignaz Troxler (1780-1866) peut être considéré comme une figure clé. Ce médecin et philosophe suisse peut à juste titre être qualifié d'anthroposophe, car il s'est attaché à formuler la pertinence et les bases d'une démarche anthroposophique. Rudolf Steiner est généralement décrit comme le fondateur de l'anthroposophie, mais la figure historique de Troxler, qui vécut avant Steiner, remet en question cette affirmation. Revenir aux origines de l'anthroposophie demande de ne pas oublier Troxler et son œuvre. Rudolf Steiner a lui-même régulièrement mentionné Troxler et a regretté que son nom soit tombé dans l'oubli. Il soulignait en 1916 que la présence de l'anthroposophie sur le sol suisse n'était pas une nouveauté, mais qu'elle y était déjà présente avant que le Goetheanum ne s'y installe. Elle se trouvait précisément chez le médecin et philosophe suisse Ignaz Troxler, qui sut formuler, pour reprendre les mots de Steiner : « une belle et admirable définition de l'anthroposophie »1.

Une anthroposophie originelle

Les origines de l'anthroposophie nous renvoient bien sûr d'abord aux artistes et penseurs de l'époque de Goethe, à la Naturphilosophie et aux idéalistes allemands. Le mot « anthroposophie » n'apparaît cependant ni chez Goethe, ni chez Novalis, Schiller, Hegel ou Fichte et seulement de façon marginale chez Schelling. Le terme se répandra plus tard chez différents penseurs du 19e siècle, mais c'est dans l'œuvre d'Ignaz Troxler que l'idée et le mot « anthroposophie » prennent réellement corps. Troxler fut l'élève de Hegel et de Schelling et se lia même d'amitié avec ce dernier. Il eut l'occasion de s'imprégner de tous les fruits de l'époque de Goethe et en conçut une synthèse qu'il nomma « anthroposophie ».

Le recueil réédité par Frieder Sprich aux éditions Beer contient les nombreux aphorismes d'Ignaz Troxler déjà rassemblés et classés par Willi Aeppli pour l'édition de 1958 (Freies Geistesleben). Leur ordre a été quelque peu modifié et de nombreux commentaires ont été ajoutés aux fragments.

Karl Friedrich Sprich (éd.), Gewissheit des Geistes. Ignaz Paul Vital Troxler. Fragmente und Aphorismen über die verborgene Natur des Menschen (Certitude de l'esprit. Ignaz Paul Vital Troxler. Fragments et aphorismes sur la nature cachée de l'être humain). Éditions Beer, 2022

De la pensée à la clairvoyance

Troxler amorce sa démarche en orientant son attention sur la faculté de penser. Que signifie philosopher ? Qu'est-ce que la connaissance ? Que signifie penser ? Il faut d'abord reconnaître l'activité cognitive de la nature humaine dans tout son potentiel : « En tant que processus de connaissance libre et autonome, la pensée est quelque chose de bien plus puissant et de plus extraordinaire que ce que l'on imagine habituellement ». La pensée humaine, mise en œuvre à grande échelle dans la civilisation industrielle pour comprendre et transformer le monde extérieur, reste cependant l'élément invisible et inobservé de la conscience humaine ordinaire. La pensée est utilisée, mais elle n'est pas perçue comme réalité. Il s'agit donc pour lui de diriger l’attention sur le processus de pensée en tant que tel – et sur le sujet pensant.

Troxler fait la découverte suivante : « L'essence de la pensée conduit à la pensée de l'essence ». Au sein de cette activité de pensée, il fait l'expérience d'une essence, c'est-à-dire d'une réalité d'esprit fondée en elle-même, d'une force consciente d'elle-même, qui a sa cause en elle-même. Par cet acte d'observation empirique de la conscience pensante, il constate que s'opère alors une transformation : l'activité de pensée commence à s'élever à un niveau qualitatif supérieur. La pensée acquiert une dimension de « contemplation » ou de « vision » : « La contemplation de l'esprit est le fait le plus élevé et le plus intime de la conscience de soi pleinement accomplie – il n'y a pas de preuve pour cela, tout comme on ne peut prouver la liberté et l'autodétermination inconditionnelle d'un être humain ».

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