L’air froid est vivifiant et empli du merveilleux parfum des feuilles de chêne qui crissent sous les pieds. Je monte la colline vers le Goetheanum. Sous un ciel bleu resplendissant, le vert est en train de passer aux tons or et rouille. L’automne est là et avec lui, la rencontre de la Section des sciences naturelles !

Dans la menuiserie, il fait plus chaud. Tous les amis rient et se prennent dans les bras, des nouveaux venus sont présentés avec le sourire. Plus de 100 personnes sont rassemblées là, venues du monde entier, des scientifiques et également quelques non-scientifiques. « Je suis venue, parce que je veux mieux comprendre notre monde », dit une femme. Il faut tout l’enthousiasme de l’un de nos responsables de section pour ramener enfin le calme parmi nous. « Je suis Vesna, avec le nom de famille imprononçable », dit-elle en riant. Vesna Forštnerič Lesjak et Matthias Rang nous saluent comme une grande famille, plutôt heureuse. Nous sommes venus au congrès Science en évolution 2024 pour explorer le thème suivant : « La diversité renforce l’identité ». D’une manière véritablement goethéenne, nous serons amenés à regarder à travers plusieurs lunettes : scientifiques, artistiques, et sociales.

La descente dans la séparation

Nous travaillons sur une Lettre aux Membres qui date du 12 octobre 1924, dans laquelle Rudolf Steiner décrit le développement du penser humain comme une descente : en partant d’une époque où les pensées étaient vécues comme des entités spirituelles que nous ressentions comme quelque chose de donné, et en allant jusqu’au temps présent, où elles sont devenues « mes » pensées, mes créations. Ce chemin jusqu’à la complète séparation d’avec les êtres des pensées de l’univers était nécessaire, d’après Steiner, pour que nous puissions développer la liberté. Mais cela nous a isolés de la nature. Cette séparation est ressentie de différentes manières par les êtres humains. Elle se manifeste comme un désir nostalgique tourné vers quelque chose qui nous manque.

Impressions de la réunion d'automne de la section des sciences naturelles « Evolving Science » 2024. Photos : Xue Li et Laura Liska

Dans l’effort de réunir à nouveau l’âme humaine avec l’âme du monde, la science goethéenne (ou le goethéanisme) n’est pas une alternative à la science conventionnelle, mais plutôt un élargissement : un chemin, pour parcourir les prochains pas dans l’évolution du penser. Sommes-nous en mesure de conduire la science dans le domaine des pensées vivantes, pour « penser » le vivant ? Matthias Rang décrit une science qui se réfère au soleil. C’est une image merveilleuse : pendant si longtemps, nous avons reçu du soleil la chaleur et la lumière, et désormais elles rayonnent en retour, depuis nos âmes vers le monde. À travers cette image, nous voyons la possibilité d’amener notre ressentir dans une relation juste avec notre penser : le ressentir nous relie au monde, le penser comprend le monde. Cette relation établie, notre penser devient une sorte de faculté de voir. Et lorsque cela est le cas, nos pensées ( tout comme les semences qui deviennent arbre ), donneront à l’esprit un espace pour agir sur la terre. C’est bien une science sous l’égide du soleil, vers laquelle tendent les efforts des chercheurs de la démarche goethéenne.  

Maintenir la tension

Une jeune scientifique italienne montre l'image d'une formation cristalline sur l'écran et raconte avec enthousiasme combien elle aime travailler avec ces cristaux, car ce travail a pour elle une saveur aussi douce que celle des gâteaux de sa grand-mère. Un homme dans le public lève la main. Il monte sur scène et lui prend le contrôle du projecteur. « Ça, c’est de la science », dit-il, et il commence à analyser des diagrammes et des tableaux, tandis qu'elle regarde, incrédule. Qui a dit que les scientifiques n'ont pas le sens de l'humour ? Paul Doesburg et Greta Guglielmetti passent leur doctorat sur le sujet de la méthode de recherche par la création d’images, une démarche scientifique de l'évaluation qualitative des substances, développée par Ehrenfried Pfeiffer en collaboration avec Rudolf Steiner. Le va-et-vient entre évaluation qualitative et analyse quantitative par ordinateur crée une tension que Paul et Greta ressentent fortement dans leur travail, et qu’ils acceptent pourtant volontiers. Leur sketch a bien mis le doigt sur ce point précis : dans les deux directions, nous pouvons aller trop loin.

Il existe une tension similaire dans le travail d’élaboration des préparations du chercheur en biodynamie Jürgen Fritz. Il a découvert que les préparations ont un effet positif dans le sol, un effet semblable à celui de l'inoculation de microbes stimulant la croissance des plantes (PGPM). Certes, nous avons besoin de ce type de recherche, mais en même temps il existe le risque de réduire les préparations bio-dynamiques à de simples substances chimiques que l’on injecterait dans le sol, ce qui conduirait de nouveau à l’impasse d’une absence de connexion responsable avec la nature. L'agriculteur biodynamique Stewart Lundy a un sens aigu de perception pour ressentir comment ses préparations « captent » leur lieu d’implantation et, ce faisant, renforcent le principe de lien, le principe unificateur au sein de sa ferme. Parallèlement, il travaille à l'Institut Josephine Porter, où des préparations de haute qualité sont fabriquées et ensuite distribuées dans tout le pays – un véritable paradoxe à ses yeux.

L'un des participants, novice dans la science goethéenne, demande poliment : « Mais comment faites-vous pour ramener tout cela à un dénominateur commun ? » Peut-être en se tenant au cœur de cette tension, et en s’y impliquant. Être capable de soutenir et d’exploiter cette tension dans toute son intensité, c’est ce qui procure des forces sur le chemin vers une science qui se réfère au soleil. Les tensions en elles-mêmes ne sont peut-être pas un problème, mais plutôt un indicateur nous montrant que nous sommes sur le bon chemin.

Impressions de la réunion d'automne de la section des sciences naturelles « Evolving Science » 2024. Photos : Xue Li et Laura Liska

Où s’arrête le chêne ?

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