Lorsque vous allez dans la nature et que vous voyez un chêne, cet arbre n'est pas quelque chose d'isolé dans le monde. Il pousse dans la terre et est lié à la terre. Pourtant, nous savons immédiatement l'identifier comme un chêne et non comme un érable ou un bouleau. Il y a donc un élément d'identité et, dans le même temps, de connexion avec quelque chose de beaucoup plus grand, que nous appelons « la Terre ». Si un arbre attire notre attention et que nous nous y intéressons, nous pouvons alors nous rapprocher de lui. Nous commençons à prêter attention à ses détails, à ce qu'il a à montrer, et entamons un dialogue avec cet organisme, cet arbre.

Il y a plusieurs façons de procéder. On peut, par exemple, commencer par une feuille. Il s'agit d'une feuille de chêne blanc américain (quercus alba), une espèce de l'Est des États-Unis et du Canada. Si nous commençons à prêter attention à un seul détail, c'est une invitation à nous attarder sur le phénomène et à y pénétrer, à regarder attentivement la forme, à accompagner la forme et à nous déplacer avec elle. Nous voilà en train de suivre la façon dont elle se propage de manière rythmique, avec les lobes et les sinus. Nous voyons les motifs des veines, les qualités du vert et les textures. À travers les détails, nous entrons dans les caractéristiques de cette feuille particulière, qui est elle-même une expression de l'arbre.

Puis une question émerge : comment cela vit-il en moi maintenant, dans mon imagination ? J'ai fait un pas vers l'arbre, et je garde à présent quelque chose de l'arbre, à travers sa feuille, en moi. Je peux le revisiter, le recréer en me représentant la texture de la feuille, la tige courte et robuste, la façon dont la feuille s'étend et se contracte, et la qualité du vert – tout cela dans mon imagination, aussi soigneusement que possible. Cette activité donne vie à ce que l'arbre a laissé de lui en moi. C'est ce que Goethe appelle « l'imagination sensorielle exacte » [« exakte sinnliche Fantasie »]. C'est une pratique par laquelle nous commençons à faire corps avec une chose, et pas seulement à y penser à distance, à la faire vivre dans l'instant.

Un arbre, c'est bien sûr beaucoup plus qu'une seule feuille. On peut donc regarder une deuxième feuille à partir de la même branche : c'est la même, mais elle est pourtant différente. Nous voilà en train d'examiner la deuxième feuille – sa forme, son aspect, sa texture, sa couleur – et de passer de l'une à l'autre. Lorsque nous nous intéressons à la troisième feuille de la même branche, il devient un peu plus difficile d'expliquer ce qu'est une feuille de chêne blanc typique. Comment la décrire ?

On pourra se demander à quoi ressemble une feuille de chêne blanc. Un guide de terrain indiquerait : des lobes arrondis, généralement de 7 à 9 lobes par feuille ; des sinus de 1/3 à 7/8 de la longueur de la nervure centrale ; une base en forme de coin ; un pétiole court et robuste ; une surface lisse ; gris-vert clair à maturité. Cela reflète-t-il parfaitement la feuille que nous voyons ? Bien sûr que non. Mais cela nous aide à identifier l'arbre. Nous sommes heureux de disposer de telles descriptions, mais cela ne suffit pas. Imaginez que chaque année, il perd ses feuilles en hiver, forme de nouveaux bourgeons, puis des milliers de nouvelles feuilles, toutes différentes et toutes de chêne blanc. Ce chêne est une créature étonnamment créative dans sa capacité à être lui-même, mais de manière différente dans tant de feuilles, toutes distinctes. Et pourtant, quelque chose de semblable, que nous pourrions appeler son identité, s'exprime dans chaque feuille. Et dans chaque feuille, elle s'exprime différemment !

Natura naturata, natura naturans

Ainsi, au fil du temps, surtout si nous observons intérieurement les détails de quelques feuilles, nous commençons à apprécier la créativité de l'arbre. Il est capable de rester lui-même, tout en s'exprimant de multiples façons. La diversité des formes finales en est un aspect. Un autre aspect est que toutes ces formes sont produites par ce que nous pourrions appeler « un être uniforme » : ce chêne. Cette « uniformité » n'est pas quelque chose de général et d'abstrait. Il s'agit d'une puissance créatrice qui s'exprime dans chaque feuille, mais qui n'est jamais limitée par ce qui est déjà apparu. De nombreuses autres formes sont possibles. Cette puissance est plus grande que ce qui apparaît. L'identité de l'arbre est sensorielle et super sensorielle, visible et invisible. Nous ne parvenons à nous faire une idée de cette identité qu'en nous déplaçant à travers la diversité et en commençant à voir le geste unificateur qui se trouve dans toutes les parties.

Plus nous faisons corps avec la diversité (je parle ici de la vie organique), plus la puissance créatrice de la nature peut se manifester. Il s'agit de passer d'une réflexion sur le « produit », Natura naturata, à une réflexion sur le « processus », Natura naturans.

Où le chêne prend-il fin ?

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