Je ne suis peut-être pas le seul à éprouver un certain ravissement particulier lorsque les feuilles changent de couleur en automne. Je ne sais pas pourquoi. Lorsque l’on pose à la science la question du changement de couleur des feuilles, on obtient une explication sur les processus chimiques qui provoquent ce phénomène. On pourrait bien sûr alors demander : et qu’est-ce qui provoque ces processus chimiques ? Une réponse possible : le froid, donc des processus thermiques. Et qu’est-ce qui provoque les processus thermiques ? Et ainsi de suite. Et qu’est-ce qui provoque ce ravissement en moi ? La réponse pourrait être : c’est une disposition tout à fait subjective, la cause se trouve peut-être dans ton enfance. Mais comment se fait-il que beaucoup de gens ressentent la même chose ? Beaucoup de gens ont une enfance similaire. Et ainsi de suite, et ainsi de suite...
Ces réponses ne sont pas fausses – mais elles ne sont pas satisfaisantes pour autant. Et pourquoi donc ? Parce que derrière le changement de couleur des feuilles, nous devons voir le phénomène tout entier de la vie. Les feuilles apparaissent au printemps, minuscules et tendres, puis elles passent par d’autres étapes de développement ; en automne elles changent de couleur, se séparent des branches et atterrissent sur le sol, où elles se dessèchent et se décomposent. Et la chose se répète année après année. La vie s’exprime dans un processus fait de rythmes divers : le rythme de la respiration, ceux de la croissance, de la naissance et de la mort, et ainsi de suite. Goethe décrit ce processus en ce qui concerne les plantes dans sa Métamorphose des plantes comme un processus alterné d’expansions et de contractions31. On pourrait bien sûr encore se demander : qu’est-ce qui se dilate, qu’est-ce qui se contracte ? Est-ce la graine, la feuille, la tige ? Aucune d’entre elles – ce n’est pas un processus de matière. Aussi difficile à comprendre que cela puisse paraître : c’est l’idée de la plante et, en définitive, l’idée de la vie. De même que je ne peux pas voir le sens d’une phrase dans la perception sensorielle de ce qui se trouve écrit là, mais seulement ce qui l’exprime, à savoir les mots, de même l’idée de la vie s’exprime de différentes manières dans toutes les plantes. Mais l’idée elle-même n’apparaît jamais au niveau de la perception sensorielle. Pour la conscience quotidienne, elle reste cachée, mais dans la méditation, elle peut être vécue de façon directe.

Laszlo Böszörmenyi, Lumière lunaire, Lumière solaire, Le retournement vers la source du mode de penser scientifique, Traduit de l’allemand par Pierre Paccoud, TRIADES 2023, 142 pages. (lien vers le livre)

C’est donc la vie qui, à différentes étapes, provoque différents processus chimiques et ce n’est pas l’inverse ; non pas provoque à la façon dont une pression mécanique exercée sur une balle provoque son mouvement, mais appelle à se manifester, de la même manière que ma décision de pousser la balle conduit au mouvement de ma main.

La question devrait donc être : comment se fait-il que la vie existe ? Et il est évident que la réponse à cette question ne peut pas être chimique. La vie n’est pas un effet secondaire fortuit des processus chimiques (d’ailleurs d’où viennent-ils ?), mais une qualité propre. La conscience ordinaire ne peut pas saisir cette qualité, car nos concepts ordinaires sont statiques, abstraits. Ils ne se saisissent jamais que du cadavre d’un processus de connaissance, et en ce sens ils sont morts et ils tuent aussi tout ce dont ils se saisissent. Si j’essaie de saisir la vie à travers des concepts morts, je ne la saisis jamais. Avec une scie à glace, on peut couper la glace, mais pas puiser de l’eau. Rudolf Steiner propose un exercice qui illustre parfaitement cet état de fait32. Prenons deux graines dans la main, l’une est vivante, l’autre est morte. On pourrait le vérifier en les mettant en terre : l’une donnerait naissance à une plante, et l’autre non. Mais la question est la suivante : comment se fait-il que je ne vois pas cette différence tout de suite, immédiatement ? Il existe des phénomènes à partir desquels je peux déduire si quelque chose est vivant ou non, mais je ne peux pas voir la vie de façon directe. Si je réfléchis à ce fait que l’idée de la cuillère qui provient de l’homme, je ne peux jamais la voir sous sa forme pure – avant même qu’il y ait une image mentale, comme cela fut le cas au moment de l’« invention » de la cuillère – mais que je peux seulement voir des cuillères concrètes, alors il n’est pas si étonnant que je ne voie pas la vie. Et de la même manière que je peux apprendre, dans la concentration de la pensée, à éprouver l’idée de la cuillère sous sa forme pure, je pourrais peut-être aussi apprendre à éprouver la vie – au sens littéral du terme. Mais c’est évidemment beaucoup plus difficile, parce que l’idée de la vie ne provient pas de nous, êtres humains. Mais certainement pas non plus du hasard.

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