Le nom de Renate Riemeck (1920-2003) est principalement associé aujourd'hui à son rôle de mère adoptive d'Ulrike Meinhof (1934-1976), devenue la célèbre leader de la Bande à Baader, mais peut-être aussi à ses ouvrages historiques inspirés par l'anthroposophie. Le large oubli dans lequel est tombé son nom est un marqueur de sa vie, miroir de la tragique histoire de l'Allemagne du XXe siècle et de ses ruptures.

Après des études d'histoire et un doctorat à Iéna, Renate Riemeck mena dans les années d'après-guerre une remarquable carrière dans les Instituts pédagogiques de la jeune RFA. Enseignante charismatique, populaire, elle marqua des générations de futurs enseignants. Si sa rapide titularisation lui assura la sécurité financière, elle lui valut aussi un embourgeoisement discutable. Benjamine des universitaires de l'Allemagne d'alors, elle rencontra de la part de ses collègues enseignants un désagréable mélange d'arrogance et de réserve. Elle occupa la chaire d’histoire et de sciences politiques de l’université de Wuppertal, son quatrième poste, tout juste âgée de 35 ans. Selon Albert Vinzens, il lui importait de ne pas limiter son attention à l'objet de recherche extérieur, mais d'explorer en même temps son for intérieur et sa conscience. Ses expériences en lien avec sa vie intime étaient pour elle un élément important de la connaissance scientifique. Elle associait des faits scientifiquement établis à des prises de position engagées débouchant souvent sur un appel à l'action. Riemeck n'agissait donc pas seulement au titre d'enseignante universitaire, mais aussi, par sa personnalité, en contemporaine exemplaire et engagée, ce qu'attestent de nombreux témoignages de ses anciennes étudiantes.

Renate Riemeck sur l'île de Juist, 1949.

Membre du SPD depuis la fin de la guerre, elle s'éloigna de plus en plus de la ligne du parti. Opposée au réarmement nucléaire, elle prit publiquement position pour la reconnaissance de la ligne frontière Oder-Neisse entre l'Allemagne et la Pologne et réclama sans relâche la paix et le dialogue avec l'Allemagne de l'Est et le Kremlin. En ces temps de pleine guerre froide, de telles opinions étaient perçues comme défaitistes et dangereuses pour la Constitution. Une véritable chasse aux sorcières fut alors lancée contre l'universitaire « communiste » qui endoctrinait la nouvelle génération d'enseignants allemands. En 1960, le ministère de l'Éducation de Rhénanie-du-Nord-Westphalie interdit à l’enseignante combative de faire passer des examens, décision qui conduisit aux premiers sit-in d'étudiants. Peu de temps après, Riemeck mit fin à cette campagne de diffamation et présenta sa démission.

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En lisant l'Évangile de Jean (Extrait)
Le 2 mars 1949, Ingeborg Meinhof, compagne de longue date de Riemeck, mourut dans leur appartement commun. Le décès fut rapide et inattendu. Ingeborg Meinhof était arrivée à Oldenburg atteinte d'un cancer et avait dû subir une opération. « Dans le froid extrême du début du printemps 1949, elle contracta une pneumonie et décéda soudainement, de manière tout à fait imprévisible, au cours d'une grave crise d'asthme. Le médecin appelé dans la nuit ne put que constater son décès ». Peu après, Renate Riemeck conduisit les enfants au chevet de leur mère : « Ulrike demanda que nous lisions ensemble l'Évangile de Jean. Les deux enfants ne pleuraient pas. Ils me regardaient juste avec de grands yeux ». Pendant la lecture de l'Évangile au chevet de sa mère décédée, Ulrike se serait arrêtée au chapitre 3, verset 16, et aurait proposé ce passage comme oraison funèbre pour sa mère. C'est en effet ce qui se passa. Le verset parle de Dieu, qui donne la vie éternelle à ceux qui croient en lui. « Même dans cette situation, elle ne manquait pas de lucidité », commenta plus tard Renate Riemeck à propos du comportement d'Ulrike. Et de conclure en précisant : « La mort de sa mère ne devait pas seulement changer la vie des enfants, mais aussi la mienne ».

Sans polémiquer, Vinzens fait la lumière sur un chapitre jusqu’ici inexploré : la position de Riemeck à l'époque national-socialiste. Elle fut en effet membre du NSDAP de 1941 à 1943, selon toute apparence pour des raisons purement opportunistes liées à sa carrière : cette adhésion au parti nazi lui permit en effet de passer son doctorat (« Les flagellants de Thuringe et les mouvements allemands de pénitents. Une contribution à l'histoire de l'hérésie allemande »). Son retrait du parti au moment de l’obtention de son diplôme de doctorat plaide également en faveur d'une adhésion stratégique. Ce qui pèse sur sa biographie n'est pas son affiliation au NSDAP, mais la négation persistante et proactive de cette appartenance par la suite. Vinzens exclut de façon indiscutable « une adhésion au parti à son insu et sans demande signée de sa propre main » et juge tout oubli ou refoulement peu probable suite à ce retrait calculé juste après son doctorat. Comme pour Friedrich Benesch, directeur du séminaire des prêtres de la Communauté des chrétiens de Stuttgart, comme pour l'écrivain Günter Grass ou le germaniste Wilhelm Emrich, cet oubli ou ce déni est assez irritant chez une autorité intellectuelle et morale de la stature de Riemeck. Un autre fait contribue à cet agacement : après la guerre, avec une insouciance politique étonnamment naïve, elle demanda à l'ancien professeur d'Iéna et SS-Hauptsturmführer Günther Franz de collaborer à ses publications historiques. Elle alla même jusqu’à le solliciter en 1950 pour un remplacement lors de son semestre d'enseignement en Angleterre. Vinzens considère les agissements de Riemeck après la guerre avec indulgence, et il les juge déterminés par « une sorte de posture cavalière et un regard que ne peuvent troubler ni doutes ni questions critiques ».

Renate Riemeck et la bachelière Ulrike Meinhof à Weilburg, 1953.

En février 1940, après la mort de son mari Werner, Ingeborg Meinhof entreprit des études d'art avec le soutien de la ville de Iéna. Directeur du musée municipal et membre actif du NSDAP, Werner Meinhof avait joué un rôle déterminant dans l'exposition « Art dégénéré » de 1937. Veuve depuis quelques mois, sa femme se retrouva seule pour accompagner ses filles à travers les années de guerre. Son objectif était de devenir enseignante. Comme Renate, elle étudia donc à un rythme soutenu et obtint son doctorat au bout de trois ans seulement. Un jour, Ingeborg proposa à Renate, sa cadette de onze ans, une chambre dans l'appartement qu'elle louait. Les affaires de Renate tenaient dans une valise et le déménagement fut rapide. Elle devint sous-locataire de la famille Meinhof à l’été 1940 et, dès lors, ne vécut plus seule.

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